JEAN
RUUSBROEC
Les
Noces spirituelles
(...)
Lorsque l'âme monte, par le désir, audelà de la dispersion
des créatures, de l'activité des sens et de la lumière naturelle,
elle rencontre le Christ dans la lumière de la foi. Elle est éclairée
et reconnaît que Dieu est inconnaissable et insaisissable. Lorsque, par
le désir, elle se penche vers ce Dieu insaisissable, elle rencontre le
Christ qui la remplit de ses dons. Là, elle aime et se repose au-delà
de tous les dons, au-delà d'elle-même et au-delà de toutes
les créatures. Là, elle habite en Dieu, et Dieu en elle.
Voilà
comment il nous faut rencontrer le Christ au sommet de la vie active. Si tu as
posé la justice, la charité et l'humilité comme fondement,
si sur lui tu as construit la demeure que sont les vertus dont nous venons de
parler, si tu as rencontré le Christ par la foi, la visée et l'
amour, tu habites en Dieu, et Dieu habite en toi, et tu te trouves établi
dans la vie active. Tel est le premier point dont nous voulions parler. (...) *******
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L'amant intime de Dieu est établi en Dieu dans un repos de fruition, il
est établi en lui-même dans un amour qui s'ajuste à travers
des uvres, et sa vie entière se passe en vertus, dans la justice.
Grâce à ces trois éléments et à une révélation
cachée, venant de Dieu, cet homme intime pénètre dans la
vie qui permet de contempler Dieu. Il s'agit bien, en effet, d'un tel amant, intime
et juste, et que Dieu veut librement préférer et élever à
la contemplation suressentielle, dans la lumière divine et selon le mode
de Dieu.
Cette
contemplat ion nous établit dans une pureté et une limpidité
qui sont au-delà de tout ce que nous pouvons comprendre, car elle est la
beauté singulière, la couronne céleste et, en outre, la récompense
éternelle de toute vertu et de toute vie. Personne ne peut l'atteindre
par le savoir ou la subtilité, ni par quelque pratique que ce soit. Seul
celui que Dieu veut unir dans son Esprit et éclairer par lui-même
est en état de contempler Dieu, nul autre.
La
nature divine cachée est éternellement à l'uvre, contemplant
et aimant, selon le mode des Personnes (divines); elle est aussi en continuelle
fruition, dans l'étreinte des Personnes, en l'unité de l'essence.
En cette étreinte, dans l'unité de l'essence de Dieu, tous les esprits
intimes sont Un avec Dieu, en s'écoulant amoureusement au-delà d'eux-mêmes,
le même Un que l'essence, telle qu'elle est en elle-même.
Dans
cette sublime unité de la divine nature, le Père céleste
est source et commencement de tout ouvrage accompli au ciel et sur la terre. C'est
lui qui parle au plus caché de notre esprit, là où nous sommes
immergés au-delà de nous-mêmes: «Regardez: l'Époux
vient; sortez à sa rencontre". (...) Cf.
Traduction d'A. Louf dans Jan van Ruusbroec, Ecrits II : Les Noces spirituelles,
coll. Spiritualité occidentale 3, éd. Abbaye de Bellefontaine,
1993. |