L'Ancien
Joseph l'Hésychaste
Ermite
et père spirituel au Mont Athos(1898-1959) Lettre
1 
À
un jeune, qui a posé des questions sur la Prière de Jésus Mon
bien-aimé frère en Christ, je prie pour que tu te portes bien. J'ai
reçu aujourd'hui ta lettre et je réponds à tout ce que tu
m'écris. Il
n'est nullement nécessaire de prendre du temps ou de la peine pour réfléchir
à ce qu'il faut te répondre. La Prière mentale (de la
répétition continuelle du nom de Jésus) est pour moi comme
le métier exercé par chacun. De fait, je la pratique depuis plus
de trente-six ans. À mon arrivée sur la Sainte Montagne, je me suis
tout de suite mis à la recherche d'ermites pratiquant la Prière*.
Il y en avait beaucoup, il y a de cela quarante ans. C'étaient des hommes
vertueux, des Anciens de jadis. J'en ai pris un comme Ancien et j'ai reçu
des directives de plusieurs autres.
La
pratique de la Prière mentale consiste à se contraindre soimême
à dire sans cesse la Prière à voix haute et sans interruption.
Au début rapidement, pour ne pas laisser à l'esprit le temps de
donner forme à une pensée qui le distraie. Ne t'attache qu'aux seules
paroles : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi! »
Lorsque la Prière est dite oralement pendant longtemps, l'esprit s'y habitue
et la dit silencieusement. Tu y prends alors plaisir, comme si tu avais du miel
dans la bouche. Tu veux la dire sans cesse. Si tu la délaisses, cela te
fait beaucoup de peine.
Quand
l'esprit y est habitué et en est rassasié - lorsqu'il la connaît
bien - il l'envoie alors dans le cur. Étant donné que l'esprit
approvisionne l'âme et que sa besogne consiste à faire descendre
tout ce qu'il voit ou entend dans le cur, qui est le centre de la faculté
spirituelle et corporelle de 1 'homme, le trône de l'esprit. Lorsque l'orant
contrôle son esprit et l'empêche d'imaginer quoi que ce soit et qu'il
porte son attention uniquement sur les mots de la Prière, alors, en respirant
légèrement, il le fait descendre dans son cur en exerçant
une certaine contrainte et par un acte de son vouloir. Il l'y maintient, comme
en réclusion, en disant en rythme la Prière: « Seigneur Jésus-Christ
aie pitié de moi! »
Au
début, il dit plusieurs fois la Prière, et reprend son haleine.
Par la suite, lorsque l'esprit a pris l'habitude de se tenir dans le cur,
à chaque respiration, il dit une prière. « Seigneur Jésus-Christ»
: il inspire, « aie pitié de moi» : il expire. Cela jusqu'à
ce que la grâce le visite et commence à agir dans son âme.
Au-delà, c'est le domaine de la contemplation.
Par
conséquent, on peut dire la Prière partout: que l'on soit assis,
allongé, et même en marchant ou encore debout. « Priez sans
cesse, rendez grâce en toute circonstance », dit l'Apôtre (1
Th 5,17-18). Il ne s'agit pas de prier seulement avant d'aller dormir. Il faut
lutter: debout comme assis. Quand tu es fatigué, assieds-toi; puis relèvetoi,
pour ne pas être pris par le sommeil. C'est ce que l'on appelle la praxis.
Tu montres ainsi ta bonne volonté à Dieu; mais il dépend
de lui qu'il t'accorde quelque chose ou pas. Sa grâce est la force qui accomplit
toute chose. C'est elle la force motrice. Comment se produit et agit l'amour
divin, c'est ce que tu apprendras en observant les commandements. Lorsque
toi tu te lèves la nuit pour prier, lorsque tu vois un malade et que tu
le prends en compassion, lorsque tu vois une veuve avec ses enfants, ou des vieillards
et que tu les prends en pitié, c'est alors que Dieu t'aime. C'est alors
aussi que toi tu L'aimes. Lui t'aime le premier, et répand Sa grâce.
Nous aussi nous lui retournons ce qui est à Lui: « Ce qui est à
Toi, le tenant de Toi », nous Te le rendons.
Si
donc tu cherches à Le trouver uniquement au moyen de la Prière,
ne laisse pas un souffle sans Prière. Veille uniquement à ne pas
accueillir des représentations imaginaires. Car le Divin est sans forme,
dépourvu de représentation, sans couleur; il est au-delà
de toute perfection. Il ne répond pas aux syllogismes. Il agit dans
notre esprit comme une brise légère (cf. 1 R 19, 12). La componction
(chaleur du coeur dans le regret des erreurs) vient quand tu te rends compte combien
tu as attristé Dieu. Lui qui est si bon, si doux, si compatissant, si bienfaisant,
et tout entier rempli d'amour. Lui qui a été crucifié et
a tout subi pour nous. Quand tu médites sur cela et sur les autres choses
que le Seigneur a subies pour nous, tu es porté à la componction.
Ainsi,
si tu peux dire la Prière à haute voix et sans cesse, en deux ou
trois mois tu peux en acquérir l 'habitude. Alors la grâce étendra
sur toi son ombre et te rafraîchira. Seulement il faut que tu la dises à
haute voix et sans interruption. Lorsque l'esprit la recevra, alors tu trouveras
du repos à la répéter seulement du bout de la langue. La
contrainte est tout entière concentrée sur la parole, jusqu'à
ce que la langue y soit habituée dans un premier temps; par la suite, durant
toutes les années de ton existence, ton esprit la dira sans peine.
Si
tu viens, comme tu me l'as dit, sur la Sainte Montagne, viens donc nous voir.
Mais nous parlerons alors d'autres choses. Tu n'auras pas de temps à consacrer
à la Prière. Tu trouveras la Prière lorsque ton cerveau sera
en repos. Mais puisque alors tu visiteras les monastères, ton esprit sera
occupé par tout ce qu'il entendra et verra. Je suis certain que tu
finiras par trouver la Prière. N'en doute pas. Tu n'as qu'à
frapper directement à la porte de la miséricorde divine et le Christ
t'ouvrira à coup sûr, le contraire est impossible. AimeLe beaucoup,
pour recevoir beaucoup. L'importance de Son don, grand ou petit, dépend
de celle de ton amour pour Lui.
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